Lettre ouverte à Arte et aux auteurs de « Autopsie d’un triple meurtre », un documentaire totalement à charge

Lettre ouverte à Arte et aux auteurs de « Autopsie d’un triple meurtre », un documentaire totalement à charge

« Autopsie d’un triple meurtre », un documentaire d’Ahmet Senyurt diffusé sur Arte mardi soir, était censé décrypter les meurtres des militantes kurdes Sakine Cansiz, Fidan Dogan et Leyla Saylemez, assassinées à Paris le 9 janvier 2013 par les services secrets turcs. Mais au lieu de s’intéresser aux responsabilités cachées derrière ces assassinats politiques impunis, comme on pouvait naturellement s’y attendre, le reportage dérive pitoyablement vers une approche qui criminalise les activités de la diaspora kurde en Europe et fait des victimes des coupables.  

Approche superficielle et tendancieuse visant à dénigrer le mouvement de libération kurde et les organisations kurdes en Europe

Tout au long de ce documentaire, on assiste à une tentative claire de remettre en question la légitimité de la résistance kurde, alors que ce n’était en rien son sujet.

Personne n’a manqué de relever les passages très douteux insinuant que le Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK) est responsable de la reprise des violences en Turquie et lui attribuant une image terroriste. Le discours invalide et méprisant employé à l’encontre de cette organisation est à nos yeux une preuve des graves lacunes journalistiques et professionnelles des auteurs de ce documentaire.

Réduire une lutte de libération de plusieurs décennies portée par des millions de personnes, Kurdes et non Kurdes, à du terrorisme, en quelques minutes, avec quelques images sélectionnées arbitrairement et des commentaires en voix off plus que simplistes, révèle l’ignorance absolue des auteurs du documentaire quant à la profondeur des dimensions historique, géopolitique et humaine de la résistance kurde. Cette approche est totalement contraire à la déontologie du journalisme qui implique des recherches sérieuses et des énoncés clairs, véridiques et complets.

D’autre part, le documentaire prend un soin tout particulier à renier la légitimité de la lutte menée en Europe par la diaspora kurde pour ses droits et pour la justice, remettant en question la légalité des activités des organisations kurdes qui sont pourtant parfaitement autorisées par les autorités nationales en Europe. Ceci revient à criminaliser des centaines de milliers de Kurdes réfugiés en Europe. Comme toute diaspora, la communauté kurde porte une histoire et des valeurs et, en tant que telle, elle a droit au respect de tous. La dénigrer de la sorte ne fait que souligner l’immoralité de l’argumentaire de ce documentaire.

Rappelons aussi, puisqu’il semble qu’un rappel soit nécessaire, que la lutte pour la justice et les droits humains ne connait pas de frontière. Tant qu’il y aura des injustices, il y aura des luttes pour la vérité, et ce, partout dans le monde.

Criminalisation des victimes et de leur engagement politique

Au-delà du dénigrement des revendications portées par la diaspora kurde, le documentaire sous-entend, scandaleusement, une responsabilité des victimes et de leur famille. Pour rappel, il s’agit ici de l’assassinat de trois militantes kurdes en plein cœur de Paris, commandité par les services d’un État étranger, la Turquie en l’occurrence. Toutefois, l’angle choisi par les auteurs du documentaire déplace le focus sur le jugement de l’engagement politique des victimes, laissant de côté l’investigation sur les responsables de ces crimes politiques. Nous condamnons cette approche scandaleuse et sexiste qui se préoccupe avant tout de porter un jugement sur les revendications des victimes, leur positionnement politique, leur mode de vie, cherchant ainsi une justification ignoble aux crimes commis à leur encontre. 

Criminalisation d’une communauté

Le documentaire tente par ailleurs de donner une image négative de la communauté kurde en France et en Europe, en décrivant ses organisations comme issues d’une mouvance terroriste qui serait recyclée dans une forme plus pacifique en Europe. 

Comme tout groupe ethnique en Europe et dans le monde, nous avons le droit d’exister, de revendiquer et de communiquer sur les enjeux auxquels notre peuple doit faire face. Ce documentaire contribue très clairement à la politique de criminalisation du peuple kurde, suggérant que le Kurde qui se tait est le bon Kurde et celui qui se révolte un terroriste.

Les auteurs du documentaire se permettent d’ailleurs, éhontément, d’imputer la responsabilité des assassinats des trois femmes à leur propre communauté, parce que celle-ci aurait manqué de lucidité et de prudence face aux risques qu’elles ne pouvaient éviter d’encourir du fait de leurs revendications. L’angle nécessaire, qui aurait voulu que l’on se penche sur les capacités d’infiltration des renseignements turcs en France, notamment à Paris, est effacé pour faire place à une liste de manquements de la communauté kurde à identifier et se protéger des dangers. Faut-il rappeler aux auteurs de ce documentaire que la problématique première de ces assassinats est la perméabilité du territoire français aux activités criminelles des services étrangers et l’impunité de celles-ci ? 

Nous rappelons également que la communauté kurde composée majoritairement de réfugiés politiques, vit en France de manière modeste, dans le respect des lois nationales ; Comme toute personne vivant en France, les Kurdes ont droit à la protection et à la sécurité. Nous ne sommes ni responsables, ni qualifiés pour assurer notre propre protection, car dans un État de droit, il est légitime d’attendre que les autorités publiques assurent la sécurité. Si la sécurité a fait défaut, il est de notre droit d’exiger la justice.

C’est justement cette justice qui manque à l’appel dans cette affaire, ce qui ne semble nullement intéresser le documentaire. Par conséquent, nous sommes en droit de questionner le professionnalisme et la neutralité des auteurs de ce reportage qui au lieu de chercher à déceler les véritables responsabilités se cachant derrière ces crimes, s’appliquent à dénigrer la lutte politique d’une communauté et de ses militantes assassinées impunément au cœur d’un pays naguère qualifié de patrie des Droits de l’Homme.

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